dimanche 26 avril 2009

Mes occupations

Je peux rarement voir quelqu'un sans le battre.
D'autres préfèrent le monologue intérieur.
Moi non. J'aime mieux battre.
Il y a des gens qui s'assoient en face de moi au
restaurant et ne disent rien, ils restent un
certain temps, car ils ont décidé de manger.
En voici un.
Je te l'agrippe, toc.
Je te le ragrippe, toc.
Je le pends au portemanteau.
Je le décroche.
Je le repends.
Je le redécroche.
Je le mets sur la table, je le tasse et l'étouffe.
Je le salis, je l'inonde.
Il revit.
Je le rince, je l'étire (je commence à
m'énerver, il faut en finir), je le masse, je le
serre, je le résume et l'introduis dans mon
verre, et jette ostensiblement le contenu par
terre, et dis au garçon: «Mettez-moi donc un
verre plus propre.»
Mais je me sens mal, je règle promptement
l'addition et je m'en vais.


(Issus du recueil "Plume")

ANALYSE:
Ce poème (ainsi que tous les autres de Michaux) n'a pas de forme fixe, ses vers et ses rimes sont totalement libres, il se libère de toutes contraintes.
En revanche, le poème comporte pas mal de champs lexicaux tels:
- la vaisselle: salis, inonde, propre, rince, verre, tasse, ...
- la bagarre: battre, agrippe, ragrippe, prends, décroche, étouffe, énerver, serre, jette, mal, ...
- le restaurant: intérieur, restaurant, manger, temps, portemanteau, table, tasse, verre, garçon, addition, ...
La première personne du singulier est très présente (bien que le "il" impersonnel arrive une fois dans le poème)
On peut aussi observer des assonnances et des allitérations:
- "a", "en", "è"
- "r"
Henri Michaux aime s'exprimer, n'aime pas la passivité, l'indifférence.
Il se défoule ensuite sur quelqu'un, puis est pris de regrets et de remords.